La publicité

Intervention de Paul Ariès au procès des déboulonneurs de Montpellier

« Mme. le Président, permettez-moi tout d'abord de vous dire combien c'est un honneur pour moi d'être cité comme témoin dans cette affaire, c'est un honneur en tant que professeur et politologue, spécialiste des sectes et de la manipulation publicitaire mais aussi en tant que parent et que citoyen. Je ne connais pas personnellement les deux militants que vous avez à juger mais je sais que des centaines de milliers de Français se reconnaissent dans leur geste. On ne devient pas militant antipub ou déboulonneur par hasard. C'est un acte adulte c'est à dire réfléchi et mesuré, c'est aussi un acte citoyen qui vise à créer les conditions d'un débat public et à interpeller l'Etat pour qu'il respecte sa propre légalité en appliquant déjà le droit protecteur existant et en établissant une hiérarchie des normes juridiques profitable aux plus faibles. La puissance publique a su le faire en interdisant les distributeurs de produits alimentaires dans les collèges et lycée au nom de la santé physique de nos enfants. Il a fallu pour cela beaucoup d'actions et de coups d'éclats. La puissance publique doit de même choisir la santé mentale contre l'agression publicitaire. Je vous demande Mme le Président de comprendre ce geste avant de rendre votre jugement au nom du peuple français. La pub fait des ravages dans la tête de nos enfants. Elle entretient l'llusion que le bonheur serait dans la consommation comme si posséder sept paires de baskets permettait de courir sept fois plus vite Cette injonction publicitaire à consommer "toujours plus" est irresponsable au moment même où le Président de la République rappelle que la maison brûle et que nous regardons ailleurs. La publicité entretient aussi l'Illusion qu'il serait possible de compenser la perte des repères et des valeurs par la consommation de produits de marques. Les marques commerciales se sont mises à fonctionner comme des béquilles identitaires pour des individus en souffrance, pour des jeunes destructurés ou sans identités fortes. Cette emprise publicitaire ne doit rien au hasard. Le Directeur de l'Institut Européen du marketing, George Chetochine le dit ouvertement dans ses ouvrages comme Le marketing de la pub : la publicité doit exploiter les névroses. Elle doit donc rendre les gens malheureux. Comment s'étonner dès lors que les jeunes ne soient pas égaux devant l'agression publicitaire? Les premières victimes sont les enfants issus des milieux populaires, les jeunes des familles destructurées. Cette situation déjà dramatique ne peut qu'empirer avec le "progrès" des techniques de manipulation publicitaire. Ces techniques de manipulation ont connu globalement trois phases. Celle de l'age d'or de la réclame avec le mythe du client rationnel mais les publicitaires ont vite découvert que l'essentiel des achats n'est pas rationnel...donc ils ont voulu agir sur l'inconscient. Cette deuxième phase est celle de la publicité suggestive avec la répétition de slogans simplistes et la volonté de créer une situation de dépendance à l'image de celle du "toxico" ou de l'adepte d'une secte. Les publicitaires commencent à développer le neuromarketing c'est à dire la possibilité d'utiliser la neuroscience à des fins de manipulation. Ils étudient par exemple l'impact de certains messages publicitaires grâce à l'emploi d'IRM... Vous comprendrez Mme. le Président que nous soyons nombreux à espérer dans la puissance publique. L'Etat doit donc intervenir comme il a su le faire dès les années trente dans de nombreux pays européens. L'école était à l'époque peu menacée par l'agression publicitaire et pourtant le législateur a interdit toute pub à l'école. Nos anciens savaient en effet que l'agression publicitaire est constraire à tout projet éducatif, à la construction d'adulte. Contrairement au discours publicitaire, la publicité n'est pas la culture des jeunes, c'est même l'anticulture par excellence. La culture plus on y accède tôt, plus on a des chances de devenir un citoyen responsable. La publicité plus on y est soumis tôt plus on restera durant toute sa vie un individu "accro" aux marques. La publicité est responsable de la perte du sens des limites. Si un individu est incapable de se donner des limites...il va les chercher dans le réel : conduites à risque, toxicomanie, suicide des plus faibles (comme les jeunes et les vieux) Si une société est incapable de se donner des limites...elle va aussi les chercher dans le réel d'où l'épuisement des ressources, le réchauffement planétaire, la perte des repères de sens, etc. Ce geste des déboulonneurs est donc d'abord à mes yeux une façon de rappeler la nécessité de poser des limites. C'est une façon de dire : cessons de sombrer dans la démesure. Ces deux militants ne fuient pas leur responsabilité. Au contraire, ils entendent justifier leur acte. Ils ont agi publiquement et à visage découvert. Je vous demande Mme. le Président de comprendre leur motivation avant de rendre votre décision au nom du peuple français. Il s'agit de demander à la puissance publique d'intervenir pendant qu'il en est encore temps. Un français subit en moyenne 20 000 spots par an, un Américain 40 000. Faut-il attendre que nous ayons le même pourcentage d'obèse ? Faut-il attendre que nous ayons totalement sombré dans l'hubris ? Ce geste citoyen est certes une violation d'une règle de droit mais au nom d'un droit supérieur. Les pouvoirs publics savent que notre droit dans ce domaine est non seulement inappliqué mais inadapté. La Suède a proposé à l'Europe d'interdire la publicité à la télévision pour les produits concernant les enfants. Nous ne pouvons pas continuer à faire comme si nous ne savions pas. Est-il normal que selon l'association Paysages de France reconnue d'utilité publique... 40 % des panneaux soit illégaux ? Est-il normal que la publicité qui reste interdite à l'école par la porte y pénètre de plus en plus par la fenêtre ? J'enseigne à mes étudiants Mme. le Président qu'il est du devoir parfois des citoyens d'oser se révolter. Aux côtés des modèles historiques que nous honorons tous, sachons reconnaitre ce geste dans sa banalité. J'ai conscience Mme. le Président que la décision qui vous échoie est particulièrement difficile. Elle l'était lorsque la justice a du faire primer le droit de grève sur le droit de propriété. Elle l'était lorsqu'au nom de la désobéissance civile des citoyennes et des citoyens ont poussé l'Etat à reconnaitre notamment le droit à l'IVG et le droit à l'Objection de conscience. J'ai espoir qu'un jour l'Etat choisira la protection de l'enfance contre le droit des publicitaires. »

Paul Aries

Comment réagir face à la publicité ?

Si le facteur s’obstine à déposer des prospectus chez vous malgré votre refus exprimé, redéposer ces proespectus dans les boîtes jaunes ou dans celles des bureaux de poste.

Ne jamais ouvrir un courrier publicitaire; le renvoyer à l’expéditeur après avoir rayé votre nom et marqué “refusé” (ou “décédé”, ou “NPAI”) sur l’enveloppe. Autre possibilité: participer au déversement de prospectus qui a lieu deux fois par an partout en France. (annonce sur BAP).

Si votre immeuble est protégé par un code d’accès que des distributeurs de prospectus violent régulièrement à l’aide d’un passe)partout, arréter l’un de ces distributeurs (en vous faisant éventuellement aider par des voisins), appeler la police et porter plainte contre son employer et lui pour violation de docmicile (cf jugement de la cour d’appel de Versailles du 7 mai 2002, disponible auprès des associations antipublicitaires).

Si votre journal préféré a l’habitude de piéger ses lecteurs en insérant les placards publicitaires au milieu des articles, écrire au directeur pour lui demander de bien vouloir regrouper toute la publicité à la fin du journal, pour que les lecteurs qui en ont besoin puissent aller la consulter sans que les autres soient dérangés. S’il refuse ou ne répond pas, réfléchir pour savoir si cette agression non désrirée mérite de continuer à la payer, voir s'il n'existe pas d'alternatives.

Retourner les sacs en plastique que vous donnent les commerçant à la caisse, afin que la marque ne soit pas visible. Mieux : prévoir un panier et refuser le sac plastique.

Si un barbouillage collectif et non-violent d’affiches publicitaires est organisé dans votre région, y emmener votre famille, vos amis, vos animaux pour faire nombre aux yeux de la presse.

Si vous êtes patient et “délateur” dans l’âme, faire tomber les panneaux publicitaires par la voie légale, grâce à la méthode Paysages de France (c’est amusant, voire passionant, mais légèrement absorbant).

Pour les parents, acheter à vos enfants du matériel scolaire neutre, quitte à les inciter à le décorer suivant leur propre imagination (par exemple, recouvrir un classeur d’un dessin fait de leur main).

Pour les professeurs, interdire aux élèves le matériel publicitaire (en prévenant le chef d’établissement avant l’été, pour qu’il previenne à son tour les nouveaux parents d’élève).

Au cinéma, ne pas se sentir obligé de regarder la publicité avant le film (les paupières, ça permet de fermer les yeux, les vertèbres cervicales de baisser la tête, les doigts de se boucher les oreilles). Si une publicité clandestine survient dans le film, selon les circonstances, soit le faire remarquer à son voisin pour l’instruire, soit quitter la salle en protestant… Préférer les cinémas ne diffusant pas de publicités. Ca existe encore.

Vérifier que l’on ne porte aucune marque (aussi petite soit-elle) à l’extérieur de ses vêtements, et se moquer (gentiment) des gens que l’on croise et qui n’ont pas pris la même précaution.

Utiliser les noms communs plutôt que les marques pour désigner les objets quotidiens: “stylo à bille… ruban adhésif… correcteur (liquide)… papillon (adhésif)… cyclomoteur… voiture… prêt-à-manger… soda…”

Dresser la liste de ses besoins avant de faire ses courses et s’y tenir.

Quand un marchand vous dérange par téléphone pour vous vendre sa camelote (si ce n’était pas de la camelote, il n’aurait pas besoin de vous déranger), accepter le rendez-vous qu’il vous propose et ni venez pas. S’il vous rappelle plus tard, lui expliquer que vous êtes amnésique et que vous avez oublié le rendez-vous, et puis c'est votre droit d'avoir changé d'avis.

Quand une société vous télécopie une publicité, lui télécopier en retour une feuille noire au milieu de laquelle figure, dans un rectangle blanc pas plus grand qu’un timbre-poste, le message de votre choix. Cette feuille noire contribuera à épuiser la réserve d’encre de ladite société.

Boycotter la télévision, cette “bouche d’aliénation” (comme on dit “bouche d’aération”), en méditant ceci: “On n’a pas la télévision, elle nous a”.

Source : BAP

Autres liens :

résistance à l'agression publicitaire

casseurs de pub

ad busters (en anglais)